La sentimentalité de la matière.
Pierre Compas - Historien d'art



Il existe des tableaux qu'on ne peut éviter. Sans faux semblants ni réelle séduction, ils accrochent le regard, agrippent nos sens, jouent quelque registre de sentiments qui ne laisse pas indifférent. Une œuvre qui travaille, et pas en silence.
Une œuvre forte.
L'œuvre de Christophe Ménager est ainsi, tableaux sans peinture, délivrés de tout artifice, austère et grouillante ou la matérialité refuse les délices de la couleur, le plaisir des formes. Tout, au contraire, se construit et se chahute, se badigeonne s'écrase et se colle. Le tableau ne reste pas indemne sous l'impulsion de l'artiste. Sa propre respiration lui donne du souffle et ses gestes, son mouvement.
"
Nous devons voir ce qui est caché parce que nous voyons " (Magritte)
L'art a depuis longtemps aboli la frontière entre artistique et non artistique ; les intrusions, les violations de l'immatérialité de la peinture sont passées dans l'ordre des choses, ou dans leur désordre. Aussi chaque tableau de Ménager a-t-il ce quelque chose qui vient d'ailleurs, et qui fonde l'œuvre, l'inspire, l'instruit. Un quelque chose, parce que la pièce rapportée n'est qu'un signe, pas un objet : le signe du commencement - Fer, tissu, bois, papier, en apparence anodins, ne sont pourtant pas là par hasard, ils proviennent d'une recherche et procèdent de l'esprit plus que d'un simple langage formel.
Tout ceci ne sent pas le concept ou la bonne idée, l'attitude de l'artiste n'est pas fortuite, si le mot sincérité a bien un sens, la preuve est lorsque lui même cherche ses mots, peu certain d'avoir suffisamment de raisons pour convaincre, mais convaincu au plus profond de lui même de sa propre vérité  .
L'essentiel de l'oeuvre n'est peut être pas dans le tableau, il y a un ailleurs, un autour, un primitif besoin de chercher le signe qui fera sens, la forme qui fera tilt. Parler avec l'artiste, c'est parler brocante, casse, chantier de démolition, digne héritier de Schwitters, lui aussi pourrait être tenté par la " poubelle métaphysique " de l'art.
Et qui ne connaît pas l'exaltation de la quête ne peut pas lire ces matières enchâssées dans la toile, sauf à confondre l'objet avec sa propre figure.
Chercher, impérieuse raison, exigeante passion toujours insatisfaite, comblée, seulement comblée l'espace d'un instant lorsque la main ramasse la seule chose possible. La quête est inépuisable, et surtout inévitable car ces petits riens que l'on perçoit dans le tableau viennent de très loin.
Pourquoi ceci plus que cela ? Au départ est l 'émotion.
La plupart des gens regardent les choses telles qu'elles sont, lui les regarde telles qu'elles pourraient être. Les artistes sont de fins observateurs du monde, les uns capturent la lumière, d'autres saisissent un mouvement. Ménager découvre, arrache à une matière moribonde ce qui lui reste encore de vie. L'artiste ne fait plus : il découvre, il choisit, il décide, c'est sans vagabondage qu'il erre dans ses champs de prédilection, mais avec un mysticisme appuyé, un désir aiguisé par l'inconnu, l'insoupçonnable ; en bref, l'artiste ne sait pas ce qu'il cherche et pourtant il le trouvera. Chaque objet, chaque signe, chaque débris est une révélation. Il est élu parmi des kilos de matière inerte. Il le re-connaît.
Une formidable excitation qui reposerait même le principe de l'art...
Et toujours, l'artiste est aux aguets, jamais tranquille, même enfermé dans l'atelier, malgré les grilles des fenêtres, pas de répit pour l'infatigable chercheur de la pire catégorie des choses ; l'objet unique

Une étagère et peu de choses, sagement rangées, pieusement conservées. Car cette quête élective ne produit que de la rareté. Formes, débris, matière rouillée, traces de bois , le Sabi ? Le Sabi est le nom d'une esthétique japonaise ancienne, ou l'on se laisse fasciner par la rouille, par la patine, par les

(Suite page 3)

Galerie KNA (Nantes-mars 99)

Page d'accueil | Préfaces & articles | Préfaces & Articles | Parcours artistique | Musées, Galeries ... | Espace découverte

Pour nous contacter : christophmenager@aol.com